Jours tranquilles à Belleville de Thierry Jonquet et Histoire de la gauche caviar par Laurent Joffrin / by herwannperrin


Reclus dans mon lit pour cause de virus paranoïaque, cela m'a néanmoins permis de terminer ces deux bouquins entamés il y a peu. Le premier deJonquet est vraiment juste tant dans le ton que dans la manière de dire, de raconter. Écrit initialement en 1999, il y a plus de 8 ans, décrit très précisément la déliquescence d'un quartier observé "Belleville" par un auteur habitant au regard assez objectif et qui nous rappelle que l'on savait, que l'on sait depuis belle lurette que la situation sociale que cela soit dans les quartiers intra-muros dans Paris et pis encore en banlieue est là qui est déclinante, en perte derepères . Chronique de cette observation et des peurs croissantes de tous un chacun pour la vie de famille, pour la pauvreté qui s'installe et qui s'étend de la perte de repères de tout un chacun.... un monde qui s'effrite et que l'on ne veut pas forcément regarder ...

Et surtout il est intéressant de lire la postface de l'édition actuelle (datée de 2003) dans laquelle Thierry Jonquet indique les retours qu'il a pu avoir, qu'il a pu lire sur ce roman document; les critiques ne sont pas tendres et l'obscurantisme de certains voire la bêtise est affligeante. Thierry Jonquet n'est pas "populiste" et a une vision de gauche mais la différence est qu'elle est ancrée dans son vécue, dans sa vie quotidienne et que cette vision n'est pas faites d'oeillères ou de mystique. Il faut se rendre à l'évidence la mission sociale de la gauche n'est plus.

Un livre encore de circonstance en 2007, petite chronique contemporaine de ce qui nous arrive et de l'implosion de ce qui devrait être au coeur de notre société. C'est bien dommage que nous n'ayons pas toujours le temps de lire ce type de bouquin lorsqu'il sorte, ils sont d'une précision effroyable sur notre vie quotidienne et le monde tel qu'il évolue... où "désévolue" il est certain que l'on a plutôt intérêt à se réveiller...

Cela me permet de faire le lien avec l'histoire de la Gauche caviar de Laurent Joffrin (offert par mon vieil ami S. parfois communiste mais aussi souvent de gauche...) qui globalement est assez ennuyeux à vrai dire sauf à être un adepte des documents historiques, passage en revue de l'histoire de la gauche caviar depuis les lumières jusqu'à nos jours... il faut attendre le chapitre 10 et la conclusion pour être dans le vif du sujet, la gauche caviar est cette partie de la gauche qui "géographiquement, vivait éloignée des classes pauvres. Par un étrange processus, elle décida, de surcroît, de s'en couper politiquement. Et cela à travers une opération culturelle et idéologique d'une tragique frivolité : l'escamotage du peuple".
Et c'est vrai qu'en ne voulant pas voir les choses telles quelles sont la gauche et la gauche caviar de surcroît s'est coupée de son électorat et elle qui servait à faire le lien et à amener des solutions progressistes a décidé de ne plus jouer ce rôle. La justice sociale qui avait été jusque là au coeur de ces valeurs n'est plus... elle a peur d'être "populiste" et laisse aller sans voir que c'est là, au coeur de ces sujets sensibles que sont la lutte contre la déliquescence, la violence urbaine,l'Europe, la mondialisation et la capitalisme qu'elle doit trouver des solutions, des alternatives progressistes et non pas rétrogrades et proposer des solutions, des voies et avoir une vision.
C'est ça, aussi, on est passé à une société de gestionnaire sans vision à long terme de ce vers quoi l'on veut tendre.

On lira avec intérêt à ce propos le rapport du conseil d'Etat 2007 dont le Monde du 23 mars 2007 s'est fait l'écho dans cette absence de prise en compte en amont du processus de décision européen  "A cette révolution quasi philosophique s'ajoute la nécessité d'une révolution tactique. « Le temps long de l'Union européenne n'est pas celui du temps court de la politique française », souligne le Conseil. « Il faudrait intervenir beaucoup plus en amont du processus d'élaboration des normes européennes », estime Josseline de Clausade, rapporteur général du rapport. Le temps européen est long mais il est aussi « ouvert au stade de l'initiative, de la négociation et de l'exécution ». Et c'est « précisément durant cette phase que les marges d'influence sont les plus grandes », souligne le Conseil d'Etat.

Lorsqu'un vote intervient à la Commission, les jeux sont presque faits car le texte est déjà l'objet d'un consensus. Les négociations autour du Conseil n'influeront souvent qu'à la marge. « C'est avant qu'il faut intervenir, au stade des Livres verts, des Livres blancs, des questionnaires envoyés par la Commission », explique le rapporteur."


Alors allons de l'avant et pensons à un gauche du XXième siècle. Il est peut être encore temps d'avoir une vision rajeunie et en accord avec un avenir qui ne se fera pas sans le capitalisme et lasociété libérale, c'est à l'intérieur de ce système qu'il faut inventer des voies...arrêtons de faire du passé ce qui devrait être et imaginons ce que demain sera à l'aube d'aujourd'hui, cela vaudra mieux...

Quelques propos de Zaki Laidi dans le Monde du 3 mars 2007 me semblent aller dans ce sens :"Son seul objectif est alors de reconstruire ce qui a été détruit par le libéralisme avec tout ce que cela implique comme conservatisme et nostalgie. Nous avons ainsi aujourd'hui une gauche dont le discours est le plus maximaliste de toute l'Europe dans le pays le moins libéral d'Europe. Or, tant que cette gauche n'aura pas rompu avec cette vision purement pessimiste du changement social, tant qu'elle ne voudra pas montrer qu'il y a dans le monde actuel des potentialités, elle continuera à décevoir ses électeurs car chacun sait que le retour aux « trente glorieuses » n'est ni possible ni souhaitable.

La gauche a besoin de penser le changement social sur le mode de la contingence plutôt que sur celui du déterminisme. Il lui faudrait d'une manière ou d'une autre se libérer de l'héritage de Pierre Bourdieu dans ce qu'il a de plus figé, défensif, et en définitive, conservateur. Dire à haute et intelligible voix que la gauche n'a plus pour horizon politique le retour aux « trente glorieuses » constituerait un acte révolutionnaire et fondateur pour une gauche du XXIe siècle. En disant cela, la gauche ferait enfin son aggiornamento idéologique sans coût politique excessif. Elle romprait avec la tentation conservatrice qui est la sienne depuis maintenant plus d'une décennie.

Le deuxième axe fort d'une gauche du XXIe siècle devrait se construire autour d'une redéfinition du rôle de l'Etat par rapport au marché. Or, là encore, la tâche est titanesque, d'une part, parce que la vénération de l'Etat est très ancrée dans une société qui a rompu avec Dieu pour mieux lui substituer l'Etat. D'autre part, parce que nous appartenons à un pays où l'inculture économique de nos élites politiques et intellectuelles conduit à penser que raisonner économiquement revient à comploter socialement. (...)

Une gauche modernisée devrait donc reprendre le chemin de la critique sociale de l'Etat. Cette critique n'est bien évidemment pas contradictoire avec une critique du marché. Mais la critique du marché doit être qualifiée, étayée, précisée et non pas seulement postulée. Croire que le bien public s'identifie mécaniquement à la propriété publique est tout simplement une vieillerie. On peut parfaitement défendre le bien public sans forcément recourir à la propriété publique (...)
La troisième façon de penser une gauche du XXIe siècle consisterait à toujours penser les mécanismes de redistribution parallèlement aux mécanismes d'incitation. Or sur ce plan la gauche accuse un retard conceptuel phénoménal car, pour elle, la redistribution, c'est l'Etat, et l'incitation, c'est le marché. Il est gravissime que des responsables de gauche continuent à se livrer à une surenchère sur le smic qui a pour inconvénient de freiner l'entrée sur le marché des travailleurs non qualifiés et d'écraser la pyramide des salaires. Croire que plus on redistribue, plus on réduit les inégalités relève d'une vision non seulement dépassée mais erronée.

Enfin, il y a une quatrième façon de penser la gauche du XXIe siècle : c'est celle qui consiste à voir dans la mondialisation non pas simplement une machine à détruire et à uniformiser, mais à enrichir et stimuler. Il faut dire et redire que la mondialisation est avant tout un processus de redistribution de la richesse et de la puissance dans de nouveaux espaces (...)".