Henri Michaux à la galerie Thessa Herold / by herwannperrin



Une exposition hommage à Henri Michaux et à sa capacité de perception. En effet, avec les oeuvres présentées sont pour la plupart issues de ses expériences avec la drogue, ici il s'agit de la mescaline, on lira dessinsmescaliniens et post-mescaliniens . On est dans le monde de l'abstraction, de l'énigmatique et de l'errance des formes. Elle compose et décompose le papier qui nous fait front.

Dans ses dessins, faut-il essayer de comprendre la signification de chacun, essayer de décrypter quand cela est envisageable ce qu'il y a derrière, ce qu'il a voulu dire à la lecture de son oeuvre, de s vie ou plutôt tenter de ressentir ce monde intérieur qui est celui qui peuple ses rêves et ses cauchemars et les faire siens et avancer vers d'autres songes ? Je pencherai pour cette deuxième solution plus poétique et pleine encore de découvertes sensorielle.

Là des yeux qui scrutent la nuit sur un visage défiguré, ici des personnages minuscules dans une cité de pierre qui rappelle étrangement La cité des immortels de Borges ou encore un montre géant sorti des cauchemars les plus enfouis de l'être. Tout ici est ouvert et perception.

Voilà, cela ma redonner envie de me plonger dans quelques uns de ses écrits que j'avais entamé mais pas encore terminé comme Connaissance par les gouffres en date de 1961

"Peindre, composer, écrire, me parcourir : là est l'aventure d'être en vie"

Et puis sinon, j'ai trouvé le site internet de Jean-Michel Maupoix qui me semble bien intéressant à approfondir et qui peut donner quelques explications plus fournies sur l'oeuvre de Michaux et sur l'envie de le lire et de le connaître un peu plus.

Su la peinture et la poésie, voici un extrait : "L'oeuvre de Michaux puise dans un univers pré-verbal ou para-verbal les ressources nécessaires à l'opération-déplacement. Qu'il soit littéraire ou plastique, le travail des signes aura pour objectif le déconditionnement.

En effet, Michaux affirme peindre pour se déconditionner: "Né, élevé, instruit dans un milieu et une culture uniquement du "verbal", je peins pour me déconditionner" . Il s'agit alors de "claquer la porte de la littérature". Mais c'est pour y rentrer par la fenêtre. La peinture, art de l'immobilité devient en effet le modèle paradoxal de la mobilité verbale. Comme l'écrit Geneviève Bonnefoi, ce que Michaux apprécie le plus dans la peinture c'est "le cinéma" . Une animation de signes, et non une fixation de sens. Epure de la langue, la peinture est une écriture réduite à son geste, son désir, son tracé, ses sillages indéfiniment recommencés. " La ligne, c'est la phrase, mais sans les mots ". Résignée à l'indéfini, résolue à l'insignifiance, la ligne va donner à voir, mieux que le langage articulé, "le phrasé même de la vie, mais souple, mais déformable, sinueux". Michaux dessine "comme on se tâte le pouls" , à l'écoute de ce bruit et de cette pulsation qu'il est, cardiomancien désireux de visualiser les rythmes qui le constituent. La ligne dessinée, tremblée, aventureuse, est le paroxysme du déplacement, car elle est à elle-même son propre mobile et son propre motif. Elle n'est plus nouée à la parole; elle n'a presque plus d'épaisseur ni de substance; elle va, indépendante, délivrée du sens et des apparences.

 

Les lignes, les traits, les taches, sont donc préférés aux mots à cause de leur absence de syntaxe, de coordination; à cause aussi de leur peu de masse, de leur pauvreté. Les mots en disent trop car ils en savent trop. Ils collent, ils gênent, ils alourdissent. Michaux, dans les gestes de la peinture, s'allège de la glu du langage

 

Le peintre est à ses yeux une espèce d'écrivain célibataire: pas marié aux mots, aux idées, aux choses, à la matière, à tout ce qui est établi et possède une fonction, un statut, une puissance. Sur le papier ou sur la toile, son plaisir est de "faire venir, de faire apparaître, puis de faire disparaître" en empruntant "la voie des rythmes". De sorte que la peinture prestidigitatrice tend à fonctionner comme un modèle prosodique pour la poésie. Les derniers poèmes de Michaux en témoignent : venus en marge des tableaux, ils articulent et désarticulent eux aussi "la conscience d'exister et l'écoulement du temps". Ils font entendre "le gong fidèle d'un mot". Ils esquissent et ils subtilisent les figures du sujet. Ils appréhendent l'être fluidique et fantomatique du dedans; ils autorisent, au sein de leur propre espace-temps, des abandons ou des étourdissements proches de ceux que permet la rêverie.

 

La peinture fonctionne donc comme un modèle pré-culturel, une façon de court-circuiter l'héritage du verbal. Elle n'est pas l'intermédiaire entre le sujet et une tradition, mais entre le sujet et la pluralité de "bourgeons humains" qu'il porte en soi. Michaux répète quel rôle décisif joue ici l'ignorance. Il dit être venu à la peinture dans une totale "impréparation", sans aucun savoir-faire. Il affirme dessiner "en pauvre, comme fait celui qui joue de la guitare avec un seul doigt". Techniquement, il use volontairement de moyens réduits : 1 ou 2 couleurs lui suffisent. Peu d'intermédiaires, de nuances. Il veillera à ce que la peinture conserve toujours cette vertu de spontanéité, voire de "surspontanéité" et de brusquerie qui la lui rend précieuse: "Avec la peinture, je me sens jeune; je suis vieux avec l'écriture". Il y a trop de richesses, de nuances, de luxe dans la langue: "si on la fait brute, si on la parle brute, c'est malgré elle" . Ecrire brut est une difficulté; peindre brut, sans correction, délibération ni retouche est une délivrance. Les écrits, dit-il, "manquent de rusticité", alors que "dans la peinture, le primitif, le primordial mieux se retrouve" .

 

Retrouver le "primordial" en apprenant tout par soi-même, c'est aussi s'apprendre soi-même. Mieux que le langage verbal, la peinture initie l'apprenti à ses espaces propres et ses rythmes intimes. Michaux dit à ce propos : "Si je tiens à aller par des traits plutôt que par des mots, c'est toujours pour entrer en relation avec ce que j'ai de plus précieux, de plus vrai, de plus replié, de plus mien (...) c'est à cette recherche que je suis parti". Or cette recherche de soi conduit précisément à découvrir la quantité d'altérité que l'on porte en soi. Autant et mieux que le verbe, les tableaux répètent que l'on n'est pas "seul dans sa peau". Tout à coup, comme chez Picasso, un visage y soude "une demi-face à un profil" et produit, par synthèse, quelque inédit "morceau d'homme" par qui devient un instant visible ce "fantôme intérieur" ou cette "conscience d'exister" dont l'écrivain traque en vain, sans relâche, la physionomie dans la langue".

 

Allez faire un tour, c'est en place jusqu'au 1er mars 2008.

Galerie Thessa Herold

7 rue de Thorigny - 75003 Paris
Tel : 01 42 78 78 68