Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte de Thierry Jonquet / by herwannperrin


Eh bien j'ai été un peu déçu par le polar mais diablement intéressé par le propos de ce bouquin de Jonquet. Pour moi, ce n'est pas un polar mais un documentaire qui rend très bien l'atmosphère actuelle qui plane sur nous, c'est ça qui est flippant d'ailleurs, il n'y a pas d'échappatoire au monde dans lequel nous errons aujourd'hui. Devant l'inaction des politiques et l'absence de solutions proposées, ce qui a brûlé en 2005 rebrûlera bientôt de manière encore plus violente d'ici peu, c'est à prévoir, à envisager.

Quand est-ce que les politiques voudront-ils bien voir la réalité en face et proposer de réelles solutions. Certes je n'en avance pas mais il est clair que cette fiction-réalité existe et si l'on se rappelle de vielles paroles de Renaud dans les années 80, on comprend vite que les choses n'ont pas bougé depuis près de 20 ans, elles ont même empirées, détérioration du lien social, "parcage" des populations en périphéries, absence de vie dans ces barres d'immeubles, ces tours qui deviennent jours après jours des zones de non-droit ou même la police ne peut plus se rendre de peur d'être lynché. C'est vrai que je n'ai pas envie d'y aller dans ces tours du 93, je suis bien tranquille chez moi et j'imagine que si j'étais dans ces quartiers; je ferai la même chose qu'eux, sans perspective d'avenir même un vague espoir comment envisager la vie, "un univers en décomposition dans lequel personne ne semble avoir sa chance" comme l'indique Pierre Magnan.

Ce que Jonquet décrit, c'est cette réalité avec un professeur tout frais émoulu de l'IUFM où le pipo le plus extravagant règne entre apprenant dominant et apprenant dominé, entre négation de la personnalité au profit du moule dans lequel on doit se fondre alors que dans les Zones d'Educations prioritaires (ZEP) on est très très loin de ces aspects si bien lêché et propre sur soi; les enfants ayant un niveau dès plus bas. ce que l'on peut reprocher aux IUFM c'est ce formatage en complet décalge avec la réalité du terrain. Sans expérience, la "bleusaille" au sens noble du terme d'ailleurs des professeurs est jeté en pature dans des zones tel que le collège Pierre Ronsard à Certigny. Si vous avez la chance d'habiter Paris intra-muros, vous devez faire près de 2 heures de trajets pour vous rendre dans l'enfer gris de certaines banlieues pour seulement 1300€, qui est candidat ? on se le demande un peu...
Le tableau est noir mais il est réel et on l'occulte trop souvent. Pendant ce temps les professeurs avec un peu d'expérience se font nommer ailleurs plus au chaud, vous me direz c'est normal, il n'y a pas de solutions, oui oui... c'est vrai et la fin alors se rapproche de nous chaque jour, on verra ce qui va arriver, le modèle républicain vole en éclat on le sait, cela ira en empirant. Les écoles privées fleurissent, la carte scolaire est détournée par tous les moyens possibles depuis belle lurette par tous et surtout par ceux qui dénoncent les inégalités ce qui finalement me semble encore plus condamnable... a bon entendeur... ceux qui voudront se reconnaître...

On continue avec l'optimisme régnant alors que le développement du racisme anti-juif qui devient jour après jour une honte sans nom, certains vous diront que l'on exagère, je ne le pense pas et cette flambée de violence et de racisme est de plus en plus prégnante et les barrières psychologiques ou morales qui existaient auparavant volent en éclat, les non-dits ne sont plus et de vieux spectres ressurgissent de partout dans le paysage, stigmatisation des peurs et de l'autre au lieu d'une remise en cause de soi, facilité de ce genre de discours ...
Le problème des élections présidentielles à venir, finalement ce n'est pas Ségolène Royal ou Nicolas Sarkozy mais c'est l'avancée semble t-il inexorable de Le Pen, déjà il y a quelques temps, les sondages lui donnait plus de 17% d'intention de votes, ou va t-on dans un pays démocratique comme le notre lorsque la haine de l'autre gagne chaque année du terrain.
Unité s'il doit y avoir entre politiques c'est pour la condamnation de cette dérive qui existe belle et bien. Elle est une carte a prendre en compte, résultante de plusieurs facteurs d'appels au secours, de faiblesses des uns et des autres vis-à-vis de leur avenir, de crispations. Nier cette réalité et l'existence de cette bête noire c'est nier une réalité qui grandit, c'est à la base qu'il faut soigner, expliquer, faire comprendre. On proposera déjà aux médias de revenir à leur travail d'objectivité ...

On pourra dire du livre de Jonquet qu'il est un peu caricatural sur le 93 avec ses dealers de shit d'un côté, son proxénète et de ses gazelles de l'autre, de l'héroïne qui arrive puis des salafistes et des cellules islamistes radicales dormantes mais ce serait aussi se voiler la face. Comprenez le bien, ce n'est pas un polar c'est un documentaire que vous lisez, condensé pour moi de cette réalité de tous les jours qu'on lit dans la presse écrite et qui va nous exploser à la figure. Encore une fois, c'est inquiétant et plus encore. Tel le film Renaissance, on vivra bientôt dans un ghetto et l'extérieur ne sera plus qu'une zone de non-droit pour tous ceux qui n'ont rien. Que nos élites  sorties de l'ENA et des autres grandes écoles trouvent quelques solutions car ce qui existe depuis quelques décennies maintenant aux États-Unis nous arrivent à pleine vitesse sans que l'on sache comment réagir, sans que l'on soit préparé à encaisser le choc... il y a juste un petit décalage de quelques années, le réveil va être un électrochoc.

Thierry Jonquet à trouver son titre chez Victor Hugo qui écrit en juin 1871 en songeant aux Communards:

"Étant les ignorants, ils sont les incléments
Hélas combien de temps faudra t-il vous redire
À vous tous que c’est à vous de les conduire
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité
Que votre aveuglement produit leur cécité
D’une tutelle avare, on recueille les suites
Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main
Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin,
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte
C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité.
Ils errent; l'instinct bon se nourrit de clarté"

Transposé aujourd'hui, on comprend malheureusement la réalité et la véracité de ces termes. Un livre pessimiste mais où la lucidité transparaît et éclaire, appel d'un auteur

Dans Le Monde du 15 novembre, on peut lire comme titre : "Délire d'un ancien gauchiste qui aurait tourné « néoréac » pour les uns, ouvrage courageux, en rupture avec l'« angélisme » antiraciste, pour les autres". Cela me fais sourire, c'est d'ailleurs à la suite de ce très bon article de Jean Birnbaum qui fais la part des choses entre l'histoire personnelle de Jonquet lui-même, ce roman, les désillusions et le désarroi d'un homme  que je me suis décidé à l'acheter. Il y en a un peu assez avec cette manie à la française (peut être) de stigmatiser les écrivains de gauche qui disent la vérité... il semble pour beaucoup que dire ce qui est c'est se renier et renier ses convictions. C'est plutôt prendre du recul et voir les choses telle qu'elles sont dans le cas de Jonquet. C'est rompre avec cet angélisme de tous les jours qui semble dire que tout va bien... Non ce n'est pas vrai et caricature il y a dans les personnages, ne soyons pas dupes, la réalité n'est-elle pas loin de celle malheureusement proposée...

Alors voilà, faites-vous une idée du présent et donc du futur qui nous attend en lisant ce dernier opus de l'auteur de Moloch, Les orpailleurs, ...

Le site de Thierry Jonquet