La Mémoire et les Hommes, et la France, et les Justes et la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat français... / by herwannperrin

Une fois n'est pas coutume mais je ne pouvais passer au travers de ce très bel éditorial de Laurent Joffrin paru dans Libération Lundi 19 février 2007. Il est important de le souligner car il me semble que ce sont des moments de plus en plus rares. Aussi, pour une fois, une citation in extenso directement accessible en ligne sur le site de Libération.

"Le Pen et Papon sur la même une. Amalgame ? Peut-être... Il y a, en effet, une grande différence entre Maurice Papon et Jean-Marie Le Pen : Maurice Papon n'a jamais été antisémite.
C'est l'un des problèmes de la France. Vichy fut la honte que nous connaissons ; soixante ans plus tard, nous avons toujours le principal parti d'extrême droite en Europe (lire page 9). Papon meurt quand Le Pen fait montre d'une longévité politique hors du commun : le jeu du hasard révèle une nouvelle fois l'étrange mal qui mine la mémoire nationale depuis plus d'un demi-siècle.
Au commencement était la mythologie gaulliste : tous résistants, sauf de rares traîtres égarés par l'armistice. Jusque dans les années 60, en dehors d'une escouade d'aigris qui revendiquaient Vichy (Le Pen a été façonné par ce milieu) la France préféra jeter le manteau de Noé sur les réalités de la collaboration. Enfin Paxton vint. L'historien américain démontra la complicité française dans la persécution des Juifs. Ainsi, il ouvrait la voie à la précieuse repentance jalonnée par le Chagrin et la Pitié, le travail de l'Institut d'histoire du temps présent ou la série des grands procès, Barbie, Touvier, l'assassin de Bousquet et, enfin, Papon. Pleins d'une humanité chrétienne ou juive, certains dirent qu'il ne fallait pas rouvrir les plaies ni tarabuster quelques vieillards oubliés. Certes. Mais le pardon suppose le repentir. Jamais Papon n'en exprima l'once d'un début de commencement. Il eut une vieillesse désagréable ? Il est vrai que Nelly Stopnicki, 5 ans, ou Charlotte Gryff, 9 ans, toutes deux déportées à Auschwitz en 1942, venant de Bordeaux où Papon organisait les choses, n'ont pas eu ce problème...
Anti-Papon quoique du même parti, Jacques Chirac a terminé le cycle de vérité ouvert par Paxton. Il a reconnu la responsabilité de l'Etat français dans la Shoah. La formidable pédagogie des juges et des historiens a fini par trouver sa légitimité, même si elle n'a pas encore pénétré certaines zones de la société, comme en témoigne le regain récent ­ mais transitoire, il faut l'espérer ­ de l'antisémitisme en France. Ce combat est éternel. Jacques Chirac a ensuite continué l'oeuvre d'éducation. Il vient de rendre hommage aux «Justes», ces Français qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre et contribué, comme l'écrit l'admirable Serge Klarsfeld, à réduire le monstrueux bilan de la déportation. On se fait maintenant une image plus exacte de la France. Dans la mémoire éclairée par l'Histoire et la justice, Pétain n'a pas effacé De Gaulle. Il n'y avait pas que des Papon dans les années noires. Dans le même corps de fonctionnaires, il y avait un autre préfet. Il est au Panthéon et s'appelle Jean Moulin. Lui, à l'inverse du condamné de Bordeaux et malgré Le Pen et ses émules, ne disparaîtra pas".